18 mars 2022
A la sortie du village d’Ambronay, dans l’Ain, il faut emprunter un petit chemin de terre qui s’enfonce vers une plaine verdoyante, où paissent des chevaux et des vaches. Au bout, un château et une famille afghane qui veut laisser le régime taliban aux oubliettes.
Les Karam ne sont pas passés du statut de réfugiés à celui de châtelains, bien sûr. Ils se sont juste retrouvés « au bon endroit, au mauvais moment », s’amuse le père, Habib Karam, un ancien agent de sécurité pince-sans-rire de l’ambassade de France à Kaboul.
Ce matin frais mais ensoleillé de février, il reçoit l’AFP au saut du lit, dans la dépendance du château où il est hébergé depuis le 1er janvier par ses employeurs avec sa femme Fariba et quatre enfants. Il n’est pas en retard pour autant: le couple vit et travaille sur le domaine de 17 hectares. Lui s’occupe du gardiennage, des petits travaux, elle du ménage et de la cuisine.
« Jamais je n’aurais pensé me retrouver dans un château un jour. On est très heureux », apprécie le père de famille de 41 ans, qui fait partie des personnels évacués par la France avant même la prise de pouvoir des talibans en 2021.
« On avait vraiment peur parce que je travaillais pour la France », se souvient-il, dans son nouveau salon aux poutres apparentes où il a accroché un portrait géant d’Aga Khan IV, chef spirituel d’une branche chiite honnie des talibans.
– Bonne humeur –
D’abord exfiltrés vers Lyon, où ils ont vécu en centre d’hébergement et obtenu l’asile, les Karam se sont retrouvés à Ambronay au milieu des vaches, des moutons et des chèvres à la faveur d’un concours de circonstances.
« On voulait donner une opportunité à une famille, aider concrètement des Afghans » après avoir vu les images du chaos à l’aéroport de Kaboul, explique Léo Schwarshaupt, 20 ans, à l’origine de leur venue.
« C’était important que le couple ait envie de travailler », sur ce domaine dont une partie va être transformée en ferme pédagogique, « et qu’il y ait des enfants, pour faire vivre la maison et le village », raconte le gendre des propriétaires, qui s’est tourné vers l’ONG Madera (Mission d’aide au développement des économies rurales).
Finalement, « ça n’aurait pas pu mieux se passer », résume l’étudiant: « C’est des bosseurs, toujours de bonne humeur. Et on sent qu’ils commencent à s’épanouir ».
Habib Karam ne dit pas le contraire, même si se retrouver dans la campagne à une trentaine de kilomètres de Bourg-en-Bresse, « loin de tout, sans permis de conduire, sans transports, sans comprendre la langue », comporte son lot de défis et de coups de blues, reconnaît cet homme trapu aux cheveux bruns.
– « Rencontre parfaite » –
Fariba, 39 ans, regard espiègle et bridé typique de la minorité hazara persécutée en Afghanistan, s’en accommode bien mieux. Ses loisirs ? « Quand j’ai fini le travail, je vais voir les animaux avec les enfants, ça nous fait plaisir ».
Surtout, confie-t-elle, « mes enfants vont pouvoir être éduqués ici ».
« C’est la rencontre parfaite entre la demande d’un employeur et celle des réfugiés », se félicite Judith Comolet, chargée de l’insertion chez Madera, qui voit dans les Karam un modèle d’intégration.
« Les grandes villes sont saturées », ajoute-t-elle, vantant les vertus de l’insertion en milieu rural, qui nécessite toutefois « six mois à deux ans de suivi », car l’isolement comporte aussi des risques.
Pour l’instant, les quatre enfants sont scolarisés et les deux grands, majeurs, déjà en formation professionnelle.
Pour Habib et Fariba, les cours de langue qui doivent bientôt commencer seront essentiels, assurent-ils. Car pour l’instant, ils ne s’aventurent pas dans le village et n’ont « rencontré personne », de peur que « les gens pensent qu’on dit du mal d’eux quand on parle notre langue », avoue Habib Karam.
La mairie d’Ambronay, sollicitée à plusieurs reprises par l’AFP, n’a jamais donné suite.
Habib, lui, se voit rester dans cette commune toute sa vie. Il regarde au loin. « J’aimerais acheter une maison ici », s’aventure-t-il, avant de prendre un air malicieux. « Non, pas le château. »